Pourquoi les fournisseurs de contenu ont besoin d’IPv6
Vincent Bernat
IPv4 est une ressource coûteuse. Cependant, de nombreux fournisseurs de contenu sont encore uniquement en IPv4. La raison la plus souvent avancée est qu’IPv4 est là pour rester et qu’IPv6 est une complexité supplémentaire1. Cet état d’esprit peut sembler égoïste, mais il existe des raisons convaincantes pour un fournisseur de contenu d’activer IPv6, même lorsqu’il dispose de suffisamment d’adresses IPv4 disponibles pour ses besoins.
Mise en garde
Cela fait un moment que cet article se trouve dans mes brouillons. Je l’avais commencé quand je travaillais chez Shadow, un fournisseur de contenu, alors que je travaille maintenant pour Free, un fournisseur d’accès.
Pourquoi les FAI ont-ils besoin d’IPv6 ?#
Fournir une adresse IPv4 publique à chaque client est assez coûteux en raison du prix des IP sur le marché. Pour l’accès fixe, certains FAI grand public attribuent encore une adresse IPv4 par client2. Les autres proposent par défaut une adresse IPv4 partagée entre plusieurs clients. Pour l’accès mobile, la plupart des FAI fournissent une adresse IPv4 partagée.
Il existe plusieurs méthodes pour partager une adresse IPv43 :
- NAT44
- L’équipement du client reçoit une adresse IPv4 privée, qui est traduite en une adresse publique par un équipement du FAI. Cet équipement doit maintenir un état pour chaque traduction.
- 464XLAT et DS-Lite
- L’équipement du client traduit l’adresse IPv4 privée en une adresse IPv6 ou encapsule le trafic IPv4 dans des paquets IPv6. L’équipement du FAI traduit ensuite l’adresse IPv6 en une adresse IPv4 publique. Il doit toujours maintenir un état pour la traduction NAT64.
- Lightweight IPv4 over IPv6, MAP-E et MAP-T
- L’équipement du client encapsule IPv4 dans des paquets IPv6 ou effectue une traduction NAT46 sans état. L’équipement du FAI utilise une table de liaison ou une règle algorithmique pour associer les tunnels IPv6 vers des adresses et des ports IPv4. Il n’a pas besoin de maintenir un état.
Toutes ces solutions nécessitent un dispositif de traduction dans le réseau du FAI. Ce dispositif représente un coût non négligeable en termes d’argent et de fiabilité. Comme la moitié des 1000 sites web les plus importants prennent en charge IPv6 et que les plus grands acteurs peuvent servir la majeure partie de leur trafic en utilisant IPv64, les FAI ont une voie toute tracée pour réduire le coût des dispositifs de traduction : fournir IPv6 par défaut à leurs clients.
Pourquoi les fournisseurs de contenu ont-ils besoin d’IPv6 ?#
Les fournisseurs de contenu devraient exposer leurs services via IPv6 principalement pour éviter de passer par les dispositifs de traduction du FAI. Cela n’aide pas les utilisateurs qui n’ont pas IPv6 ou les utilisateurs avec une adresse IPv4 dédiée, mais cela fournit un meilleur service pour tous les autres.
Pourquoi le service serait-il mieux rendu via IPv6 que via IPv4 lorsqu’un dispositif de traduction est sur le chemin ? Il y a deux raisons principales5 :
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Les dispositifs de traduction introduisent une latence supplémentaire en raison de leur placement géographique à l’intérieur du réseau : il est plus facile et moins coûteux d’installer ces dispositifs à quelques points du réseau au lieu de les placer au plus près des utilisateurs.
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Les dispositifs de traduction sont un point de défaillance supplémentaire sur le chemin entre l’utilisateur et le contenu. Ils peuvent être surchargés ou mal fonctionner. De plus, comme ils ne sont pas utilisés pour les cinq sites web les plus visités, qui servent leur trafic via IPv6, le FAI peut ne pas être incité à s’assurer qu’ils fonctionnent aussi bien que l’IPv6 natif.
En regardant les statistiques de Google, la moitié des utilisateurs atteignent leurs sites web via IPv6. De plus, leur latence est plus faible6. Aux États-Unis, tous les fournisseurs mobiles nationaux ont activé IPv6.
Pour la France, nous pouvons nous référer au rapport annuel de l’ARCEP : en 2022, 72% des utilisateurs fixes et 60% des utilisateurs mobiles avaient activé IPv6, avec des projections de 94% et 88% pour 2025. En utilisant cette projection, puisque tous les utilisateurs mobiles passent par un dispositif de traduction des adresses, les fournisseurs de contenu peuvent livrer un meilleur service à 88% d’entre eux en exposant leurs services via IPv6. En excluant Orange qui détient 40% des parts de marché sur l’accès fixe grand public, l’activation d’IPv6 devrait avoir un impact positif sur plus de 55% des utilisateurs d’accès fixe.
En conclusion, les fournisseurs de contenu visant la meilleure expérience utilisateur devraient exposer leurs services via IPv6. En évitant les dispositifs de traduction, ils peuvent délivrer un contenu de manière plus rapide et fiable. C’est crucial pour les applications sensibles à la latence, comme la diffusion en direct, mais aussi pour les sites web sur des marchés concurrentiels, où même de légers retards peuvent entraîner un désengagement des utilisateurs.
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Une façon de limiter cette complexité est de construire des services IPv6 et de fournir IPv4 uniquement via des proxies à la bordure du réseau. ↩︎
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En France, les FAI à but non lucratif, tels que FDN et Milkywan, fournissent une IPv4 dédiée. C’est aussi le cas d’Orange, le FAI historique. Free attribue également une adresse IPv4 dédiée pour les clients connectés à l’infrastructure FTTH en ZTD en point-à-point. ↩︎
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J’utilise le terme NAT au lieu du terme plus correct NAPT. N’hésitez pas à faire mentalement la substitution. Si vous êtes curieux, consultez RFC 2663. Pour un aperçu des technologies de transition IPv6 énumérées ici, jetez un coup d’œil à RFC 9313. ↩︎
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Pour AS 12322, Google, Netflix et Meta fournissent 85% de leur trafic via IPv6. Aussi, plus de la moitié de notre trafic est fourni via IPv6. ↩︎
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Une raison supplémentaire est la lutte contre les abus : bloquer une adresse IPv4 peut avoir un impact sur des utilisateurs qui partagent la même IPv4 que les coupables. ↩︎
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IPv6 peut ne pas être la seule raison pour laquelle la latence est plus faible : les utilisateurs avec IPv6 ont généralement une meilleure connexion. ↩︎